Connaissez-vous le graphène, le nouveau matériau miracle de l'électronique?
Par Raphaële Karayan
Des smartphones à écran flexible aux nanoprocesseurs, des batteries à recharge ultrarapide à l'élimination des terres rares dans les écrans tactiles, les applications du graphène sont très prometteuses. Explications.
Observation d'une membrane de plusieurs feuillets de graphène, attachée à une extrémité par une électrode d'or déposée sur silice.
CNRS Photothèque - FRESILLON Cyril
En ce moment, dans des laboratoires de recherche français, allemands, coréens, chinois ou américains, des scientifiques s'affairent sur un matériau qui pourrait à l'avenir s'imposer dans l'industrie : le graphène. Quand on évoque les technologies d'avenir, quel que soit le territoire exploré, on retrouve la piste du graphène : écrans souples de smartphones, wearable computing,batteries à recharge rapide, biotechnologies, ordinateur quantique... Les applications à l'étude - ou déjà commercialisées - sont légion. Le graphène, matériau miracle?
Pourquoi le graphène est-il intéressant?
La liste de ses qualités est longue. Le graphène est flexible, ultrafin (les chercheurs ont réussi à le manipuler en "monocouche" d'un atome d'épaisseur en 2004), six fois plus léger et 200 fois plus solide que l'acier, et plus résistant que le diamant. Cela donnerait un gilet pare-balles souple et léger de 0,5 cm d'épaisseur. Il est aussi transparent, et excellent conducteur électrique (100 fois plus rapide que le silicium) et thermique. Grâce à ces propriétés, les applications industrielles du graphène sont multiples. Preuve parmi d'autres de l'impact potentiel des travaux sur le graphène, les scientifiques qui ont réussi à l'"isoler" en 2004 ont reçu le Prix Nobel de physique en 2010.
Comment obtient-on du graphène?
Le graphène, c'est du cristal de carbone pur. Il existe à l'état naturel dans le graphite que l'on utilise depuis longtemps dans les mines de crayons (graphein en grec signifiant écrire), et que l'on exploite dans les mines de charbon. En "pelant" du graphite, on parvient à séparer les multiples couches de graphène qui le composent.
Mais on peut aussi employer des techniques plus modernes pour le synthétiser. Par exemple, en faisant chauffer à plus de 1000 degrés un catalyseur (comme du cuivre) sur lequel un gaz d'hydrocarbure (comme le méthane) va se dissocier et déposer des atomes de carbone. La principale difficulté consiste alors à obtenir une "monocouche" unique, et à séparer du support des "monocouches" de grande taille sans les détériorer. Les procédés les plus techniques coûtent encore trop cher pour être industrialisés à grande échelle. C'est le cas de celui mis au point par Vincent Bouchiat, directeur de recherche au CNRS à l'institut Néel de Grenoble, qui utilise la technique de dépôt chimique en phase vapeur décrite précédemment.
Four ouvert sur un tube de quartz au sein duquel a été introduite une feuille de cuivre recouverte de graphène. Ce dispositif permet la croissance d'une couche d'épaisseur mono-atomique de graphène sur cuivre, par dépôt de vapeur chimique réactive.
CNRS Photothèque - FRESILLON Cyril
Pourquoi peut-il révolutionner l'électronique?
Déposé sur du verre, le graphène le rend conducteur tout en conservant sa transparence. Il peut ainsi être utilisé pour fabriquer des piles photovoltaïques ou des diodes électroluminescentes (LED). Il est donc susceptible de remplacer le principal matériau utilisé dans les écrans tactiles, l'oxyde d'indium-étain (ITO), moins performant, très rare et toxique, et sur lequel la Chine a la mainmise. Le graphène va également servir à fabriquer les fameux écrans tactiles flexibles que l'on nous promet (l'ITO, trop rigide, n'autorise pas cette prouesse). On peut aussi l'intégrer dans des textiles "intelligents", voire dans des puces sur la peau. Il pourrait même permettre de créer des batteries souples, ou augmenter significativement la vitesse de recharge. Des chercheurs coréens affirment avoir réussi à charger une batterie de mobile en 15 minutes.
On comprend donc pourquoi Samsung est en pointe dans la recherche sur le graphène. L'entreprise coréenne a annoncé l'année dernière avoir mis au point une nouvelle technique de synthèse de grandes feuilles monocouches, et une méthode pour l'intégrer à des semiconducteurs.
La France n'est pas en reste. Au CEMES-CNRS à Toulouse, l'équipe d'Erik Dujardin, spécialisée dans l'électronique moléculaire (une branche des nanotechnologies), s'est lancée un défi : concevoir le transistor de demain. "Les transistors actuels sont des interrupteurs qui s'ouvrent et se ferment. Pour calculer à partir d'un comportement si simple, un microprocesseur a besoin d'un nombre considérable de transistors agencés en une architecture complexe, d'où le besoin impérieux depuis 60 ans de miniaturiser. A un moment donné, on ne pourra plus miniaturiser. Aujourd'hui on va jusqu'à 10 nanomètres. Mon objectif est de descendre en-dessous", explique le physico-chimiste. Ses travaux font partie des bases qui pourraient servir à concevoir - dans longtemps - un éventuel ordinateur quantique. "Dix nanomètres, c'est la taille à partir de laquelle le comportement quantique de la matière ne peut plus être ignoré", ajoute le directeur de recherche.
Quelles sont les autres applications?
Dans l'industrie. On peut l'utiliser dans des alliages pour rendre les avions plus légers (Airbus), à la place des fibres de carbone dans du matériel sportif (on en trouve déjà dans des raquettes de tennis), dans l'armement pour fabriquer des émetteurs d'ondes Térahertz (Thales) ou rendre des appareils furtifs (car le graphène absorbe les ondes radars).
Pour l'environnement. Le graphène se marie bien au lithium et peut servir à améliorer les temps de charge et les capacités de stockage des batteries lithium-ion. Tesla y travaille. Le constructeur espère ainsi atteindre une autonomie de 800 kilomètres.
Dans la médecine. Le graphène présentant une meilleure biocompatibilité que le métal, il peut être utilisé pour concevoir des électrodes implantées dans le cerveau de patients atteints de la maladie de Parkinson. Il a aussi la faculté de s'accumuler dans les tumeurs et peut ainsi servir dans le cadre de thérapies ciblées contre des cancers.
Modélisation numérique du graphène: des atomes de carbones arrangés selon une structure en nid d'abeille.
CNRS Photothèque - BOUCHIAT Vincent
Quel avenir à court et moyen terme?
Aujourd'hui, le graphène est à la mode. Mais demain, aura-t-il transformé l'essai ? Régulièrement, des nouveaux matériaux sortent de l'ombre, mais tous ne deviennent pas des stars. Ce fut le cas des nanotubes de carbone, qui ont des propriétés relativement similaires au graphène et dont on a beaucoup parlé. Selon Erik Dujardin, le graphène devrait connaître un sort plus positif.
Et la recherche va bon train. L'Europe prévoit d'y consacrer un milliard d'euros sur dix ans jusqu'en 2023. La France, qui organisait en 2014 la plus importante conférence internationale annuelle sur ce matériau, se classe deuxième déposant européen de brevets dans ce domaine, derrière l'Allemagne. Et le CNRS est extrêmement mobilisé.
Tout sera une question de coûts. "Pour qu'un matériau s'impose, il faut qu'il soit dix fois moins cher, soit dix fois meilleur que celui qu'il remplace", résume Vincent Bouchiat, qui va tenter de monter sa start-up pour devenir producteur de graphène. Cette condition (rapport coût-performance) sera réalisable d'ici une dizaine d'années dans les écrans plats et le photovoltaïque, selon Erik Dujardin, et d'ici 20 ans dans les composites pour l'aéronautique et l'automobile.
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